Voilà un moment que je voulais partager mon point de vue sur la traitement des véhicules hybrides rechargeables dans la classification Crit’Air. Ce ne sera pas long…
Le programme Crit’Air
Constatant que le transport routier est une des sources majeures de pollution, notamment dans les agglomérations, le Ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer a lancé un système de classification des véhicules selon leur potentiel de pollution. Il y a six classes de 0 (véhicules 100% électriques) à 5 qui couvrent tous les véhicules, à l’exception des plus polluants qui n’ont droit à aucune présence dans la classification.
Je reprends ci-dessous la publication que vous trouverez sur le site du Ministère:
Le certificat qualité de l’air permet de favoriser les véhicules les moins polluants :
- modalités de stationnement favorables ;
- conditions de circulation privilégiées ;
- possibilité de circuler dans les zones à circulation restreinte (ZCR) ou en cas de pic de pollution
Le certificat qualité de l’air fait l’objet d’une démarche volontaire pour les usagers qui le souhaitent et qui peuvent le commander sur le site certificat-air.gouv.fr.
L’idée est donc que les agglomérations pourront réserver la circulation ou l’accès à certaines zones et parcs de stationnement à quelques catégories de véhicules seulement parmi les moins polluantes localement. Tout cela me semble aller dans le bon sens. Je pense que je n’y aurais pas fait plus attention que cela si je n’avais pas possédé ma 225xe. Mais voilà, j’en ai une et je m’intéresse de près au secteur de l’énergie. Donc j’ai fouillé un peu.
La classification
Le tableau publié par le Ministère est clair:
On remarque que les véhicules 100% électriques disposent d’une catégorie séparée, la plus vertueuse dans la classification; c’est bien le sens de la démarche. Remarquons aussi que les véhicules les plus polluants n’ont pas de vignette: je trouve que c’est une bonne approche plutôt que de leur attribuer une vignette de remontrance. Ça a du sens dans le cadre d’une démarche volontaire qui donne accès à des facilités telles que celles mentionnées plus haut. Pas de vignette, pas d’accès. Pas la peine d’appuyer pour faire plus mal encore.
Notons que pour les classes de 1 (exclusion faite des véhicules hybrides rechargeables, j’y reviens plus bas) à 5, seulement deux critères sont utilisés: la norme Euro d’émissions et le type de moteur thermique (à allumage commandé, c’est à dire essence et autres; et Diesel). Il faut savoir que la norme Euro s’applique obligatoirement à tous les véhicules vendus dans l’Union Européenne: le chiffre désigne la norme qui s’appliquait à l’époque, depuis la première (Euro 1, de 1993 à 1995 inclus) jusqu’à Euro 6 (pour les véhicules mis en service depuis le 1er septembre 2015, en différentes déclinaisons: a, b, c, d-Temp, d), les conditions requises étant de plus en plus exigeantes. La norme Euro spécifie les émissions de polluants à ne pas dépasser au cours du cycle NEDC: oxydes d’azote, monoxyde de carbone, hydrocarbures et particules. Le dioxyde de carbone, dont il est question dans d’autres aspects de la réglementation pour lutter contre le changement climatique notamment, n’entre pas en compte dans la norme Euro ni dans la classification Crit’Air. C’est un peu surprenant tout de même, même si ça permet de centrer l’action sur la pollution qui a un impact direct sur la santé en ville.
Sans ouvrir le débat totalement, notons tout de même au passage quelques curiosités. Tout d’abord, un classement sur la base de la norme Euro n’est qu’un classement sur la date de fabrication du véhicule. Ensuite, sans non plus revenir sur les limitations des cycles NEDC qui seront remplacés en 2017, il aurait peut-être été opportun de baser la classification Crit’Air, destinée à réduire les émissions dans les agglomérations, sur la partie urbaine du cycle NEDC, et non la totalité qui inclut la composante extra-urbaine, en utilisant une pondération des valeurs ainsi mesurées. Ça aurait demandé pas mal de travail, mais les données auraient été plus pertinentes vis-à-vis des objectifs. Passons, et supposons que cela ne change pas grand chose et que Crit’Air permettra vraiment d’agir localement sur la pollution dans les agglomérations.
Dans ce qui suit, je ne remets donc pas en cause les objectifs ni la méthode générale ou les choix qui ont été faits. Ce n’est pas le but de cet article qui se concentre sur les véhicules hybrides rechargeables. Or je considère que leur traitement dans la classification Crit’Air est une erreur à plus d’un titre. Voyons pourquoi.
Les erreurs de la classification des hybrides rechargeables
Les véhicules hybrides rechargeables reçoivent la classification 1, le niveau juste en dessous de celui des véhicules 100% électriques. Jusqu’ici, tout va bien: si l’idée est de distinguer le potentiel de pollution local, particulièrement dans les agglomérations, c’est une distinction qui est tout à fait correcte et acceptable.
Par contre, comment expliquer que les véhicules à essence qui répondent aux normes Euro 5 et 6 se retrouvent dans la même catégorie? C’est un non-sens qui ne participe ni à la lutte contre la pollution locale en agglomération, ni à la transition énergétique, et ce pour plusieurs raisons.
Cet amalgame ne reconnaît tout simplement pas la capacité des véhicules hybrides rechargeables de circuler en mode tout électrique. Certes, en cas de baisse de charge de la batterie c’est le moteur thermique qui prendra le relai, mais pourquoi traiter les hybrides rechargeables au même niveau que des véhicules qui ne rouleront jamais sans émissions locales? L’argument est d’autant plus fort pour les hybrides récentes, dont la motorisation thermique répond bien entendu aux normes Euro 5 ou 6 (Euro 6b pour la 225xe). C’est une erreur technique.
L’absence de distinction entre les véhicules essences Euro 5 ou 6 et les hybrides rechargeables signifie que le traitement de ces deux types de véhicules au regard des mesures prises par différentes agglomérations pour réduire les émissions locales sera le même. Cela n’incite donc pas à acheter une hybride rechargeable plutôt qu’un modèle récent à essence, alors qu’une hybride rechargeable apporte en ville tous les avantages de la motorisations électrique tant qu’elle dispose d’une charge suffisante. C’est une erreur de communication, notamment vis-à-vis des acheteurs.
En ne reconnaissant pas la particularité des véhicules hybrides rechargeables, la classification Cri’Air ne leur reconnaît pas non plus un rôle particulier dans la transition énergétique. Or le véhicule hybride devrait en être un acteur important: il permet de faire évoluer les habitudes progressivement, il facilite l’introduction de la mobilité électrique, il alimente la recherche et le développement de façon complémentaire et surtout il permet de décliner des modèles à moteur thermique pour orienter une part de la clientèle vers la mobilité électrique. C’est une erreur stratégique.
Enfonçons le clou. Toutes les hybrides rechargeables sont donc classées dans la même catégorie. Mais que faut-il donc comprendre? D’un côté, on refuse aux hybrides rechargeables la catégorie électrique (d’accord), de l’autre on les associe à certains véhicules à essence (tiens?) pour enfin inclure les véhicules Diesel hybrides rechargeables dans la même catégorie (ça alors!). Quelle est la cohérence en terme de pollution locale? Soit on reconnaît la possibilité de rouler en électrique en ville, soit le risque de voir des véhicules mal chargés utiliser leur moteur thermique. Tout regrouper dans la même catégorie, ce n’est plus une erreur, ça s’apparente à de la mascarade!
Correction nécessaire
Je ne comprends pas comment la classification Crit’Air a pu être validée en l’état. Il ne s’agit pas d’un oubli, puisque les véhicules hybrides rechargeables sont explicitement reconnus. Dès lors, il est difficile de ne pas imaginer le forcing des parties pour attribuer la catégorie 1 aux véhicules à essence récents d’une part, et pour favoriser les Diesel hybrides rechargeables d’autre part. On invoquera ce que l’on voudra – relance de l’activité économique, part du marché français… Mais dans ce cas, soyons transparents. Car du point de vue des émissions locales qui sont prioritairement visées par le programme Crit’Air, tout cela ne fait aucun sens et sent le conflit d’intérêts. En fait, si l’on considère la classification dans son ensemble, on constate qu’il s’agit tout simplement de favoriser les véhicules 100% électriques d’une part, la vente de véhicules neufs d’autre part, et enfin les motorisations à essence par rapport au Diesel tout en préservant les Diesel hybrides rechargeables.
Comment corriger cela? Il n’y a qu’une solution: reconnaître les hybrides rechargeables comme une catégorie à part dans la classification Crit’Air, entre 100% électriques et essence Euro 5 et 6. Une autre discussion concerne le traitement des Diesel hybrides rechargeables, qui pourraient par exemple continuer de figurer aux côtés des essences Euro 5 et 6 si l’on veut rester tout à fait cohérents. Il faudrait ensuite que les agglomérations jouent le jeu et apportent à cette nouvelle catégorie des avantages qui ne seront pas accessibles aux véhicules moins bien classés.
Enfin, même si je souhaitais éviter de remettre en cause l’approche générale, je me demande tout de même pourquoi le choix de la classification par la norme Euro a été retenu. C’est simple et ça existe déjà, certes, mais cette norme ne fait aucune distinction au sein de l’entière flotte de véhicule homologués: on retrouvera ainsi sous la norme Euro 6 des véhicules qui consomment 6 L/100 km en cycle urbain aux côtés d’autres qui consomment deux ou trois fois plus. Leurs émissions moyennes sur cycle NEDC ne dépasseront pas les maximum autorisés par la norme Euro, mais aucune distinction n’est faite sous cette limite haute et aucune attention n’est portée spécifiquement au comportement urbain. Curieux, vraiment très curieux ce choix. On reproche souvent aux français de compliquer inutilement les choses, mais la simplicité de ce système va tellement loin qu’elle perd beaucoup de sa pertinence.
Conclusion
La classification Crit’Air ne reconnaît ni les avantages des véhicules hybrides rechargeables, ni leur rôle dans la lutte des agglomérations contre les pollutions locales d’une part et la transition énergétique d’autre part. Il faut corriger cette erreur rapidement car elle introduit des incohérences qui sèment le doute sur les réelles motivations du programme et qui pourraient pénaliser injustement l’essor des hybrides rechargeables.
Au delà de cela, il est impossible de ne pas soulever des questions plus fondamentales sur ce dispositif décevant.